lundi 15 avril 2013

Soigner son âme grâce au chamanisme



Le voyage chamanique nous permettrait-il de soigner nos blessures intérieures ? Dans ce dialogue avec Olivier Chambon, Laurent Huguelit explique comment une thérapie chamanique peut nous aider à reconstruire notre intégrité psychique.

© Magic Grass

Olivier : Alors, explique-moi ce qu’est un "voyage chamanique". Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce qui se passe ?




Laurent : La personne se couche et je lui explique que l’écran, le support, c’est le même que celui de l’imagination ; mais ce n’est pas de l’imagination, c’est réel.





Olivier : À ce sujet, des recherches en neurosciences indiquent que notre cerveau fonctionne de la même manière lorsque nous percevons la réalité extérieure et lorsque nous effectuons une action dans notre imagination. L’imagination est donc tout à fait « réelle » et est interprétée comme telle par le cerveau.




Laurent : Néanmoins, il y a pour moi une différence subtile entre l’imagination telle qu’elle se définit dans nos cultures et le voyage chamanique. C’est quelque chose que l’on apprend à reconnaître et à discerner avec le temps, car au début ce n’est pas forcément évident. C’est une question classique qui revient souvent : « Est-ce que je ne suis pas en train d’imaginer ces trucs ? » Non, tu fais un voyage chamanique. Nuance. (...)

Pour faire un voyage chamanique, il faut un point de départ qui peut être un arbre ou un endroit avec un accès vers le bas. Il faut qu’il y ait un trou, par lequel on a accès au Monde d’en bas.




Olivier : C’est un peu comme Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll : tu plonges dans le terrier du lapin.




Laurent : Oui, si tu veux ; ce type de littérature est très chamanique : Alice, Le Magicien d’Oz, etc. La différence, c’est que là, ce n’est pas un livre : c’est réel. Le voyage n’est pas figé par des mots, il se crée en direct, devant tes yeux. Donc, je fais aller la personne dans le Monde d’en bas et je la fais travailler chamaniquement dès la première séance. Je lui fais rencontrer une personne de son entourage familial ou sentimental avec laquelle elle a des choses à régler. Donc la personne a déjà fait une partie du travail elle-même, alors que moi, je n’ai encore rien fait. Le but, c’est : « Vous voyez ? Vous pouvez le faire vous-même ; je suis simplement là pour vous montrer comment faire. Mais ce n’est pas moi le grand manitou qui fait la séance, c’est vous qui faites votre séance. »

La personne revient avec des informations, et ce qui est incroyable, c’est que dans la plupart des cas, sans aucun entraînement, sans forcément avoir quinze ans de pratique, les gens reviennent avec des informations épatantes, éclatantes de transparence de leur voyage chamanique, même si c’est la première fois qu’ils en font un. Ensuite, je fais un point sur la suite de la séance, qui est le soin chamanique proprement dit, où c’est moi qui entre en transe et fait un voyage chamanique. Je vois alors les différentes actions à entreprendre, si je dois faire des extractions, un recouvrement d’âme, etc.

Précisions que les recouvrements d’âmes et les extractions chamaniques sont vraiment les deux principales techniques chamaniques, d’un point de vue thérapeutique. Les chamanes, soit ils (r)amènent des choses – recouvrement – soit ils enlèvent des choses – extraction. C’est très simple : c’est de la plomberie spirituelle.





Olivier : Dans le livre La Chamane blanche, la psychiatre revient à l’hôpital psychiatrique où elle travaille, après avoir été initiée par un chamane. Elle dit qu’il lui a expliqué que les chamanes enlèvent ou retrouvent deux types de choses. Soit c’est quelque chose qui est entré « par effraction », soit c’est quelque chose qui était perdu comme une partie d’âme qui a été prise, volée, ou que la personne a abandonnée ou laissée attachée à autre chose, etc.




Laurent : Oui, c’est très simple : tu as des trucs en trop en toi ? Le chamane les enlève. Des trucs te manquent ? Le chamane les ramène. En gros, c’est ça, la face thérapeutique de la pratique chamanique. Et pour avoir accès aux informations, nous faisons des voyages chamaniques. Tout le reste, c’est de l’emballage culturel.





Olivier : Pour reprendre la métaphore informatique, tu supprimes ou tu amènes des programmes.




Laurent : C’est ça. Ce que tu enlèves est souvent lié à des traumatismes, des intrusions, des peines, des émotions, etc. Ce que tu ramènes, en gros, c’est l’intégrité énergétique de la personne... Extractions et recouvrements sont liés, un peu comme des vases communicants.

Si tu vis un traumatisme, comme par exemple un accident de voiture, un viol ou un deuil, tu peux perdre une partie de ton âme ; elle se réfugie quelque part dans l’autre monde, pour échapper à la douleur, en quelque sorte. Cette partie que tu as perdue va être remplacée par autre chose : une drogue, une dépendance, une dépression, ou que sais-je encore ? Les possibilités sont infinies. Le chamane va enlever cette énergie de remplacement et ramener ce qui est parti, c’est-à-dire toi-même. On rebouche le trou et on referme la bouteille. C’est pour cela que c’est tellement efficace : une fois que l’intégrité énergétique est rétablie, que l’âme est entière de nouveau, les énergies de remplacement n’ont plus de raison d’être.




Olivier : Certains physiciens diraient que les chamanes opèrent sur des champs morphiques. C’est la terminologie du biochimiste anglais Rupert Sheldrake. Ces champs morphiques sont des structures qui organisent la matière, donc quand le chamane vient retirer ce qui sévit au niveau énergétique, il y a un bout d’âme ou un bout de matrice qui revient se positionner au bon endroit, ce qui informe le corps, qui met en place un processus de cicatrisation physique et psychique... C’est dans le même ordre d’idées, non ?




Laurent : Exactement. Et tout cela fonctionne de manière très logique : ce n’est pas un délire irrationnel. Nous travaillons directement sur la structure énergétique des personnes qui viennent nous voir et de ce qui les entoure.


Le Chamane & le Psy, Olivier Chambon, Laurent Huguelit
Mama Editions (2010 ; 224 pages)

mercredi 6 mars 2013

S’émerveiller, une solution pour être heureux ?



Savez-vous que s’émerveiller est bon pour l’esprit, mais aussi pour la santé, et que cela nous permettrait de vivre plus longtemps ? Explications avec trois experts en la matière.




S’émerveiller : les enfants sont extraordinairement doués pour cette capacité. Les regarder s’extasier ou rire à la moindre occasion est un pur délice mais peut aussi nous procurer un brin de nostalgie. Car en grandissant, nous devenons souvent aveugles aux merveilles de la vie. Et pourtant, échanger un sourire, savourer le temps passé avec les êtres aimés, contempler un paysage, écouter le chant des oiseaux, déguster un bon plat… Les occasions au quotidien sont nombreuses.






L’émerveillement : de la quête à la conquête




Le philosophe et théologien Bertrand Vergely, auteur de Retour à l’émerveillement, nous déculpabilise et nous explique que l’émerveillement de l’adulte diffère de celui de l’enfant. Arrivé à un certain âge, l’insouciance est souvent derrière nous et la réalité, parfois difficile, face à nous. La capacité d’émerveillement est alors une quête : « il faut avoir lutté contre soi pour parvenir à cet émerveillement-là. Il faut avoir surmonté la tristesse, la lassitude, la révolte, le désespoir et donc, les avoir rencontrés. » précise-t-il. Une fois cette capacité retrouvée, alors « un miracle s’opère : la vie se met à parler. Comme pour les enfants, avec la même magie. Une magie toutefois enrichie par l’expérience de la vie » ajoute le philosophe. Car pour l’auteur, rien n’est plus important : « on peut être riche, si l’on ne sait pas s’émerveiller, on est pauvre. On passe à côté de l’essentiel, on manque la beauté du monde, la richesse des êtres humains, la profondeur de l’existence. » Pour lui, la vie est un miracle : « Nous devrions être conscients de l’extraordinaire fait de vivre. » Le mot « émerveillement » vient du terme « mirabilia », l’union du mot « miracle » et du verbe « admirer », rappelle l’auteur. Or, selon lui : « quand on prend le temps du regard et de l’admiration, on soigne son âme avant de libérer une véritable générosité. »






Les bienfaits de l’émerveillement sur la santé





Autre condition de l’émerveillement : aimer la vie. Bertrand Vergely estime qu’ « en devenant présent à notre existence, nous allons voir celle-ci dévoiler sa richesse à travers mille détails. » C’est le message que diffuse également Florence Servan-Schreiber, journaliste. Elle a participé à des « cours de bonheur » basés sur la psychologie positive et créés par Tal Ben-Shahar, docteur en psychologie et en philosophie. Un manifeste rédigé en 1998 décrit la « science du bonheur » comme « l’étude scientifique des forces et des qualités qui permettent aux individus et aux communautés de s’épanouir ». Après avoir expérimenté ce programme, Florence Servan-Schreiber a voulu partager son expérience, ses connaissances, et des outils à la portée de chacun, dans un livre intitulé « 3 kifs par jour et autres rituels recommandés par la science pour cultiver le bonheur ». Parmi eux, le carnet de kifs ou carnet de gratitude. Il s’agit d’annoter chaque soir, dans un cahier, juste avant de s’endormir, trois évènements de la journée pour lesquels nous aurions envie de direMerci ! Un exercice qui nous invite à prendre conscience des trésors et des richesses que nous offre la vie. Pour Florence Servan-Schreiber : « La gratitude libère de l’envie : la reconnaissance de ce que j’ai m’exonère du désir d’autre chose. Cela nous permet de mieux vivre avec ce que l’on possède déjà et d’être plus généreux. Ressentir et exprimer sa reconnaissance est un formidable antidote contre les émotions négatives, l’hostilité, le tourment et l’irritation ». Des laboratoires étudient les bienfaits liés au sentiment de gratitude. Ainsi, d’après le professeur Robert Emmons, les personnes qui tiennent régulièrement un carnet de gratitude « ont gagné quelques heures de sommeil, s’endormaient plus vite, et se sentaient plus reposées au réveil ». rapporte Florence Servan-Schreiber. Mieux vaut donc compter ses kifs plutôt que les moutons en cas d’insomnie, suggère-t-elle avec humour dans son livre. Plus fort encore, être dans la gratitude ou l’émerveillement permettrait de vivre plus longtemps. Pour mener une telle étude, il faut pouvoir étudier un groupe de personnes ayant exactement le même mode de vie et vivant au même endroit. Les chercheurs ont ainsi examiné des lettres biographiques rédigées par les religieuses d’un couvent à l’âge de 20 ans, 40 ans et 70 ans. Des sémanticiens ont analysé la teneur du vocabulaire et quantifié les mots en lien avec les notions d’émerveillement, d’optimisme et de gratitude. Ils ont ensuite étudié leur état de santé. Ils se sont aperçus que les religieuses manifestant le plus cet état d’esprit positif à travers leurs lettres vivaient en moyenne sept années de plus que les autres. Cette étude a été réitérée dans des contextes plus courants et les résultats sont les mêmes. Ainsi, s’émerveiller serait bon pour la santé.






L’émerveillement et la science, une fenêtre sur l’infiniment grand





Il y a quelques années, Morvan Salez, ancien astrophysicien au centre national de la recherche scientifique (CNRS), écrivain et auteur-compositeur, travaillait à la NASA dans un centre construisant des sondes d’exploration du système solaire. Il venait d’achever la construction d’un instrument destiné à détecter un rayonnement électromagnétique venant d’objets du ciel, installé sur un télescope au sommet du volcan d’Hawaï. Lorsque celui-ci a émis un signal, l’astrophysicien a bien sûr ressenti une immense joie, mais surtout, il a mesuré, à cet instant précis, l’entière dimension de ce résultat. Des photons provenant d’une autre galaxie venaient de parcourir des millions d’années lumière dans l’espace avant d’être détectés par son appareil. « C’est comme si ce photon que je venais de détecter me reliait directement à cette galaxie, au-delà du temps et de l’espace. Et moi, petit humain, je me connectais à ça. C’était tellement fort que cela m’a quasiment mis dans un état de transe. » confie le chercheur. Les découvertes scientifiques mais aussi biologiques l’émerveillent tout autant que la nature de l’esprit humain ayant permis ces avancées. « Savoir que l’être humain est capable de sonder l’Univers à ses débuts est une source d’émerveillement en soi. »Pour celui qui cultive cet état d’esprit à chaque instant, « j’aimerais tellement que, grâce aux sciences, les gens puissent prendre conscience qu’ils font partie de ce tout et qu’ils ont la chance inouïe de vivre cette expérience. Cela changerait tellement leur façon de voir la vie, d’illuminer leur quotidien. »

Retour à l'émerveillement, Bertrand Vergely
Albin Michel (Septembre 2010 ; 326 pages)







3 kifs par jour, Florence Servan-Schreiber
Marabout (Février 2011 ; 318 pages)









lundi 4 mars 2013

Les « connexions » extraordinaires des artistes

De nombreux artistes disent avoir rêvé certaines de leurs œuvres. D’autres racontent vivre des états mystiques et seraient comme connectés à d’autres dimensions qu’ils considèrent source de leur inspiration créative. 
 


 

© Akiane Kramarik (peinture) 

Depuis l’âge de 4 ans, Akiane Kramarik peint des visages, des regards, des scènes de vie, des animaux et des paysages, avec un réalisme, une émotion et une profondeur à couper le souffle. Si la jeune prodige, aujourd’hui âgée de 18 ans, n’a jamais reçu d’éducation religieuse, elle a toujours prétendu être transcendée par Dieu. « Dès l’enfance, j’ai eu de nombreuses visions aux couleurs vibrantes que j’ai reproduites en peinture. Puis, par une nuit froide étoilée, j’ai été réveillée par un souffle à la fois léger et intense. Là, j’ai conversé avec Dieu et visité le Paradis. Depuis, il me guide et m’inspire dans mon art. »
Akiane Kramarik est loin d’être un cas isolé. Depuis toujours, de nombreux artistes – peintres, musiciens, sculpteurs, écrivains, acteurs... - disent avoir eu l’impression de ne pas être à l’origine d’une œuvre qu’ils ont pourtant créée. La plupart tireraient leur inspiration de leurs rêves, ou lors de moments privilégiés de grâce.



Rêver une œuvre

 
Giuseppe Tartini (1692-1770), violoniste et compositeur italien, rêva que le diable était devenu son esclave. Dans son rêve, il lui donna un violon et, à sa grande surprise, le diable se mit à jouer « une sonate d'une telle beauté exquise que cela dépassait les limites de mon imagination », témoignait-il. Au réveil, Tartini se rappela de la musique du mieux qu'il le pu et composa la célèbre Sonate des trilles du Diable. Richard Wagner (1813-1883), compositeur allemand, décrivant son opéra Tristan et Yseult, confiait à l’époque: « Pour une fois, vous allez entendre un rêve, un rêve que j'ai mis en musique ... J'ai rêvé tout cela. Jamais ma pauvre tête aurait pu inventer une telle chose délibérément. » En septembre 1853, pendant une sieste, il conçut le prélude pour orchestre de L'anneau du Libelung. En mai de l’année suivante, il termina l'opéra en entier. Robert Louis Stevenson (1850-1894), écrivain britannique, auteur de l'Île aux trésors, constata très jeune qu'il pouvait rêver des histoires entières et même continuer un même rêve les nuits suivantes pour lui trouver une fin différente ou affiner une intrigue. Dans son autobiographie, Across the Plains, Stevenson écrit que ses rêves étaient produits par des petits bonhommes qui travaillaient toute la nuit, jouant devant lui des morceaux d'histoire sur un petit théâtre illuminé. C’est ainsi qu’est né L’Etrange cas du Doctor Jekyll et Mister Hyde. Autre exemple, plus récent, celui du réalisateur américain James Cameron qui aurait, lui aussi, trouvé l’inspiration dans ses rêves pour réaliser le film Avatar. Or, qu’est-ce que le rêve en parapsychologie ? Ce n’est rien d’autre qu’un état modifié de conscience qui se révèle être un terrain très favorable aux expériences de télépathie, d’intuition et de prémonition, et permet d’avoir accès à des sources intarissables d’informations.



État de grâce, état de transe


Le rêve n’est pas le seul état modifié de conscience à travers lequel les artistes sembleraient trouver l’inspiration créatrice. Certains, pourtant bien éveillés, disent vivre des moments de transcendance.
Dans son autobiographie, L’homme qui avait bâti sa maison sur le sable, le chanteur Michel Delpech raconte lui aussi son expérience : « Lorsque je compose des chansons, je me trouve parfois dans des états particuliers, une espèce d’état de grâce. Je me demande comment l‘inspiration me vient et d’où elle vient. J’ai la sensation d’entrer en communication avec des sphères inconnues et d’être mystérieusement aidé dans ma création, comme si une alchimie extérieure accomplissait une part de mon travail. Il s’agit d’un phénomène étrange, commun, je crois, aux artistes. Sans le savoir, je suis une sorte de mystique à l’écoute d’un absolu. »
Un autre chanteur français, Laurent Voulzy, avouait lui aussi, lors d’une interview, avoir cette impression de ne pas se sentir auteur de ses œuvres mais d’être comme connecté par le haut de la tête à quelque chose de « plus grand que lui » qui lui « envoie » ses musiques et ses textes. Comme s’il ne composait plus mais qu’on composait pour lui.

Dans son livre Psi Enquête sur les phénomènes paranormaux, le journaliste Erik Pigani s’est intéressé de près à l’inspiration créatrice des artistes. Pour rédiger cet ouvrage, l’auteur a recueilli les témoignages de plus de cent cinquante personnalités qui lui ont fait part de leurs propres expériences, leurs propres visions sur leur art, et leur incroyable mode de création. « Du néant surgit parfois des souffles brûlants qui embrasent le cerveau de certains hommes faisant crépiter mille et une idées pleines de songes, de sons et de couleurs, reflets d’un univers mystérieux, inaccessible au commun des mortels, écrivait-il. Parfois même ce souffle s’empare de leur corps tout entier, le faisant tourner, chanter et danser comme s’ils étaient subitement animés par la force des dieux. A travers ces hommes, c’est la Vérité qui s’écoule, non pas celle de la pensée mais celle qui, au-delà des émotions exprime l’Etre. A travers eux, c’est l’univers qui parle et se manifeste, non sous forme de savants calculs et de superbes théories, mais d’images et de vibrations. »
De nombreux acteurs et chanteurs, lorsqu’ils interprètent un rôle ou une chanson en public, disent également entrer dans un état « quasi mystique ». Comme la chanteuse Fabienne Thibeault, voix mythique de Starmania, qui raconte avoir souvent l’impression de se dédoubler sur scène. « C’est comme si nous étions deux, comme si je n’étais plus toute seule. Et cette sensation n’est pas un simple fait anecdotique. C’est un événement important qui dépasse de loin la force des états émotionnels habituels. », confiait-elle. « Les arts de la représentation sont, par excellence, une transition, un médium, entre notre réalité quotidienne et d’autres types de réalités, écrit Erik Pigani. La preuve : la scène permet à certains interprètes d’expérimenter spontanément de très particuliers phénomènes psychiques. (...) Est-il possible de définir cet état ? Si la sensation de dédoublement peut être comparée à une sortie de corps, et l’impression d’être investi par une force extérieure à la médiumnité, la catégorie la plus approchante est probablement la transe. Il ne faut pas prendre cette expression au sens péjoratif : depuis l’aube des temps, les hommes connaissent cet état mystique particulier, cette expérience transpersonnelle par excellence qui leur permet de s’entretenir avec les dieux et de recevoir des messages du cosmos. » Le célèbre psychologue américain Charles Tart, connu pour ses recherches sur les états modifiés de conscience et la parapsychologie, confirme, expliquant que « la transe est un processus naturel à l’être humain qui permet de dépasser ces limites et d’entrer en contact avec la totalité de notre être et avec les mondes invisibles. »



Les artistes : des sujets PSI ?
 
Les artistes auraient-ils plus de facilité à s’ouvrir sur d’autres dimensions, à avoir des capacités extrasensorielles et à vivre des expériences extraordinaires ? Seraient-ils des sujets PSI ?
Erik Pigani en est convaincu : « Les artistes seraient deux fois plus doués que la moyenne d’entre nous ! Les musiciens, plutôt introvertis et à l’écoute de leurs sentiments intérieurs, sont de bons télépathes ; les acteurs, plutôt extravertis, expriment clairement leurs intuitions ; les dessinateurs, qui ont l’habitude de visualiser, ont des facilités pour la clairvoyance ; les romanciers, surentraînés à imaginer intérieurement des scénarios, ont souvent des prémonitions… En 1997, une expérimentation réalisée avec cent vingt huit artistes à l’université d’Edimbourg, en Ecosse, a montré que les plus créatifs étaient les plus réceptifs. Pourquoi ? Parce que les qualités psychologiques de la créativité sont celles qui permettent l’apparition du psi : être ouvert à ses émotions, être enthousiaste pour toute nouvelle expérience, être capable d’empathie avec les autres, être tolérant et ne pas avoir peur de son imaginaire. »

Découvrir le site de la jeune Akiane Kramarik ,

vendredi 1 mars 2013

Des plantes qui enseignent aux humains


Les plantes peuvent être une source d'apaisement, de tranquillité, de bien-être. De là à leur « parler », il n'y a qu'un pas que les chamanes amazoniens ont franchi il y a fort longtemps.



 
« Ce sont les plantes elles-mêmes qui me communiquent directement leurs propriétés thérapeutiques. » C’est ce que les chamanes de la forêt amazonienne ont répondu à Jeremy Narby lorsque à plusieurs reprises au cours de ses enquêtes, l’anthropologue les a questionnés sur l’origine de leur savoir. Selon les chamanes amazoniens, ce type de communication n’a rien d’extraordinaire. Ils affirment tirer tout leur savoir de la nature elle-même, en particulier du règne végétal. Les plantes seraient des enseignants qui leur transmettraient toute leur science... « Pour les peuples de la forêt amazonienne, c’est comme si le monde végétal était une université et chaque plante une sorte de professeur », explique Jeremy Narby.

Mais comment ces plantes peuvent-elles devenir des enseignants ? Il faut les « boire » sous forme de décoction, répondent les chamanes. « Une fois ingérées », précise l’anthropologue, auteur du livre Le Serpent cosmique, « toutes ces plantes ont un impact sur les rêves. C’est ainsi qu’elles apportent un enseignement. Pour apprendre d’un grand arbre ou d’une plante, on dit qu’on le ou la « diète ». Autrement dit, il s’agit d'être attentif à l’impact que l’ingestion va avoir sur les rêves. En effet, ces plantes permettent à l’individu qui les ingère de « voir » la cause d’une maladie, le problème dans une situation, ou de recevoir toute autre information. Jeremy Narby cite l’anthropologue Jean-Pierre Chaumeil qui écrit : « Selon les chamanes Yagua du Nord-Est péruvien, toute la démarche chamanique consiste à « voir ». Ce que l’on voit amène au savoir. Ce savoir peut alors donner du pouvoir. Il n’y aurait pas de limites à ce qu’on peut voir et donc apprendre des plantes. »

Les plantes sont-elles toutes en mesure de communiquer ? « Les Shipibo, un peuple originaire du Pérou, disent que la plupart des plantes médicinales communiquent avec les hommes. Il y a un certain nombre de plantes qui ne communiquent pas car n’étant pas comestibles et n’ayant pas d’effets thérapeutiques, elles sont inintéressantes pour l’être humain », explique Aziz Khazrai, chirurgien français et expert en médecine amazonienne. Certaines plantes seraient donc « bavardes » tandis que d’autres resteraient « muettes ».

Guillermo Arevalo Valera, chamane descendant d’une longue tradition de guérisseurs Shipibo-Conibo, commente cette différence : « Une plante qui enseigne, c’est une plante qui va nous apprendre à vivre sur la terre, à nous occuper de notre prochain et à le respecter, tout simplement à être humain. Nous cherchons à apprendre de la plante et à partager ce savoir avec les êtres humains. Ici en Amazonie, nous respectons énormément la nature. » Et il poursuit : « Les plantes médicinales ont seulement les principes actifs, les plantes « maestras » (celles qui enseignent) ont les principes actifs ainsi que de l’énergie et de l’esprit. » Dans cette terminologie, la « plante qui enseigne » a, en plus de ses vertus médicinales, des propriétés qui permettent de guérir des maladies psychiques : elle aide surtout sur le plan psychologique et spirituel. « Cette plante agit sur la partie physique, psychologique et au niveau de l’âme. Elle commence par provoquer des sensations physiques. Pendant le sommeil, elle peut provoquer des rêves liés à la guérison qu’elle effectue. L’esprit de la plante peut nous guider sur ce que l’on doit faire pendant le traitement, concernant par exemple la nourriture que l'on doit manger. L’esprit de la plante reste en communication avec nous. »

À l’appui de ces propos, on ne peut qu’être frappé par le degré de complexité et d’élaboration de certains mélanges. Comme le souligne Jeremy Narby, il est difficile d’imaginer que certaines préparations puissent être le fruit d’une expérience acquise suite à des erreurs successives.

Le docteur Aziz Khazrai explique que les chamanes d’Amazonie ont su construire quelque chose de cohérent et de pertinent à partir du « discours » des plantes reçu lors des transes. « Personnellement, j’ai découvert une véritable médecine qui repose sur un corpus de connaissances théoriques du fonctionnement du corps humain, du psychisme, des perceptions sensorielles, de l’esprit. Les chamanes sont en mesure de faire des diagnostics médicaux et d’obtenir des connaissances botaniques et pharmacologiques de leur environnement. Un grand nombre de médicaments actuels sont issus de la pharmacopée amazonienne ! Les laboratoires envoient d’ailleurs des gens sur place pour enquêter sur les plantes utilisées par les Indiens. Cela montre l’intérêt de cette médecine, aussi vaste que celle que j’ai apprise à l’université. Mais son originalité majeure est qu’elle ne s’apprend pas dans les livres ou par transmission orale, mais directement des plantes médicinales elles-mêmes par des techniques connues des chamanes. »

Francis Hallé, botaniste, professeur à l’Institut de botanique de l’université de Montpellier et spécialiste des Tropiques, a dirigé les missions du célèbre Radeau des cimes (expéditions scientifiques en 1986 visant à explorer la canopée des forêts tropicales). Il s’interroge sur le crédit qu’on peut accorder à des gens qui considèrent les plantes comme des personnes : « En Europe, ces idées-là choquent ; mais qui faut-il croire, de l’Occidental qui nie la personnalité des plantes sans jamais leur avoir accordé beaucoup d'attention, ou du guérisseur, qui passe sa vie entière au contact des flores les plus riches du monde, pénétrant l’intimité de milliers de plantes, et devenant ainsi, plus que leur familier, un véritable complice ? »

Il est indéniable que les chamanes de la forêt amazonienne détiennent une connaissance impressionnante du monde végétal qui les entoure. Ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’ils l’ont acquise dans un milieu très diversifié. 74 % des remèdes ou des substances d’origine végétale utilisés dans la pharmacopée moderne ont été découverts en premier lieu par les sociétés « traditionnelles ». À ce jour, 2 % de toutes les espèces végétales ont subi des tests scientifiques complets en laboratoire. La grande majorité des 98 % restants se trouve dans les forêts tropicales, là où est concentrée la plus grande biodiversité. L’Amazonie contient plus de la moitié des variétés de plantes du monde. « Les scientifiques ont répertorié en Amazonie péruvienne plus d’espèces de fourmis sur un seul tronc d’arbre que dans toutes les îles britanniques, plus d’espèces d’arbres sur un hectare que sur tout le continent européen... »

Jean-Marie Pelt est pharmacien agrégé et botaniste, professeur universitaire de biologie végétale et botanique, auteur de nombreux ouvrages et d’émissions télévisées. Cet écologiste a participé à de nombreuses missions scientifiques et a fondé l’Institut européen d’écologie à Metz. Lui qui étudie les plantes depuis de très nombreuses années et toujours avec le même enthousiasme, ne trouve pas incongrue la démarche des peuples amazoniens : « Les gens d’Amazonie ne voient pas de hiérarchie entre nous, les plantes et les animaux car ils ont une relation fusionnelle avec la nature. Ils voient dans la nature la présence d’esprits. Les plantes ont un esprit, nous dirions peut-être une âme... Ils ont par instinct le sens d'une interrelation étroite entre tous les êtres vivants. Tout est sacré ! Lorsqu’on touche une plante, on lui parle, quand on la coupe, on lui demande pardon, on la remercie pour les services qu’elle va nous rendre... Il y a un contact qui s’élabore comme avec une personne. Une plante ou un animal sont une sorte de personne. Nous avions cette vision il y a très longtemps. Nous avons perdu tout cela par l’approche purement objective et matérielle. Nous sommes maintenant dans des sociétés très matérialistes qui ont rompu leurs liens avec la nature, ce qui nous amène à la crise écologique. » Reste à savoir s’il y aura un jour, comme l’espère Jeremy Narby, « un terrain d’entente entre savoir indigène et science occidentale ».

Eloge de la plante, Francis Hallé
Éditions du Seuil - Librairie La Martinière (Octobre 2004 ; 346 pages)


Le serpent cosmique, Jeremy Narby
GEORG éditeur (Juillet 1997 ; 236 pages)


mercredi 27 février 2013

Castaneda : mythe ou réalité(s) ?




Pour qui s’intéresse, même de loin, au chamanisme, le nom de Castaneda sonne comme une légende. La promesse de visions extraordinaires, de pouvoirs étonnants, d’accès à d’autres réalités. Mythique et controversé, le personnage a de quoi intriguer... Quel est son apport ? Faut-il suivre sa voie ?





Tomber sur un livre de Castaneda n’est pas anodin. Des histoires de plantes savantes, de coyotes qui parlent, de métamorphoses en corbeau, de boules d’énergie ou de sorciers capables de se dédoubler, qui seraient le compte-rendu de son apprentissage auprès d’un chamane amérindien du nom de Don Juan Matus. « La nuit où tu as rencontré le papillon tu as eu, comme je l’avais prévu, un véritable rendez-vous avec la connaissance, lui aurait dit par exemple celui-ci. Tu as appris l’appel du papillon, tu as senti la poudre dorée de ses ailes, mais surtout, cette nuit-là, pour la première fois, tu as pris conscience de ”voir” et ton corps a appris que nous sommes des êtres lumineux »…


L’histoire commence en 1968 lorsque Carlos Castaneda, étudiant en anthropologie, péruvien installé en Californie depuis 1951, relate dans L’herbe du diable et la petite fumée son initiation au secret d’un monde situé au-delà des limites de la perception ordinaire. Pour une génération étriquée dans la société de consommation, pour ceux qui s’interrogent sur la pertinence d’un ancrage purement matérialiste, c’est une bouffée d’air.

Les ventes s’emballent, d’autres ouvrages suivent : Voir, Le voyage à Ixtlan, Histoires de pouvoir… Anaïs Nin et Alejandro Jodorowsky adorent, John Lennon et Jim Morrison aussi. Fellini envisage de l’adapter au cinéma, Oliver Stone nomme Ixtlan Films sa maison de production. En France, ses livres sont d’abord édités par les surréalistes. De l’avis général, les quatre premiers sont d’anthologie.




Mythe ou réalité ?


Au fil des écrits, pourtant, un mystère se profile : Don Juan a-t-il vraiment existé ? L’auteur a-t-il réellement reçu cet enseignement ou l’a-t-il inventé, au gré de rencontres, de lectures et d’emprunts divers ? Castaneda affirme que tout est vrai, mais refuse mordicus de donner des détails.

Pour les anthropologues qui se penchent sur son œuvre, ça sent le bidonnage : trop de contradictions, d’invraisemblances, d’imprécisions. « Selon certains chercheurs, il aurait tout pompé sur des pionniers comme Weston La Barre, Robert Gordon Wasson ou Timothy Leary », indique le chamane Laurent Huguelit dans Le chamane & le psy. Auteur de Carlos Castaneda, la vérité du mensonge, Christophe Bourseiller évoque l’influence d’Allan Watts, des Portes de la perception d’Aldous Huxley, des sagesses grecques, soufies, zen, yogi… Une sorte de « mélange revisité à sa sauce », dit Laurent Huguelit.


C’est grave, docteur ? Non, affirme Christophe Bourseiller. Car si le Péruvien était un « baratineur invétéré depuis l’enfance », ses livres, qu’ils soient le fruit d’une imagination virtuose, d’une connexion innée à d’autres mondes, d’un trip sous psychotrope, d’un savoir ancestral ou d’un pillage documentaire, ouvrent des horizons.

« Lorsque Vincent Cassel m'a offert L’herbe du diable et la petite fumée, j'étais dans l'étude des spiritualités d'Orient, raconte le cinéaste Jan Kounen. J'ai tout de suite été fasciné par l'approche de Castaneda. Après sa lecture, je me suis intéressé au chamanisme mexicain et amazonien. S’il n’a jamais croisé Don Juan, cela fait de lui le plus grand écrivain du siècle ! Je préfère croire qu'il a tout vécu, il reste ainsi plus abordable. Peut-être a-t-il arrangé ou encodé certaines parties de son histoire. Après tout, comme dit Gandalf à Bilbo dans Le Hobbit, toute belle histoire mérite quelques embellissements. Pour ma part, ce que j’ai vécu en Amazonie est suffisamment surnaturel pour croire à l’essence de ses récits. »

Sans verser dans l’ésotérisme, Christophe Bourseiller n’en admire pas moins la force de l’œuvre de Castaneda, « à la confluence d’une certaine mystique, d’un regard philosophique et d’une fulgurance poétique », ainsi que sa capacité à bousculer. « A la manière d’un René Char ou d’un Edmond Jabès, il n’est pas juste un grand écrivain, mais un grand penseur. La poésie ne ment pas. Les mondes symboliques aussi, sont opérants pour éclairer nos vies. »




La force du conteur



D’où Castaneda tire-t-il son intensité de vision ? L’énigme reste entière. Mais une chose est sûre : par son talent littéraire, il a su attirer un public qui n’aurait jamais lu un ouvrage d’anthropologie. « A son époque, la société occidentale avait de gros préjugés sur les chamanes, rappelle l’anthropologue Jeremy Narby. Il y avait besoin d’un raconteur d’histoires pour la sortir de sa torpeur, démocratiser l’accès aux cultures indigènes et montrer tout ce qu’elles ont à nous apporter. »

Ces peuples marchent peut-être pieds nus, ils racontent peut-être « des choses à coucher dehors », mais « c’est peut-être nous qui sommes limités, plutôt qu’eux qui disent des absurdités ! poursuit Jeremy Narby.Castaneda m’a donné envie de partir à leur rencontre en leur témoignant écoute et respect, sans tricher. Le monde a besoin d’une anthropologie accessible, qui lui permette de se comprendre dans sa diversité. »


Et pour le coup, Castaneda met le paquet. Exit les frontières matérielles et spatio-temporelles, l’écrivain appelle à s’extirper de nos conditionnements sociaux et de nos préjugés pour s’ouvrir à l’inconnu. Tantôt inspirant, quand il parle d’immensité de l’esprit ou dit que tout est énergie. Stimulant, quand il laisse entendre que nous avons en nous la faculté de percevoir cette intelligence invisible et d’y participer. Voire perturbant, quand il décrit des concepts ou des visions qui peuvent sembler délirants…


« L’apport de Carlos a été important, notamment par l’introduction des notions de réalités ordinaires et non-ordinaires », indique l’anthropologue Michael Harner, grand spécialiste du chamanisme, dans le livre Higher Wisdom : Eminent Elders. Dans Psychothérapie et Chamanisme, le psychiatre Olivier Chambon souligne la pertinence des concepts de “stopper le monde”, de “voir”, de “seconde attention”… Autant d’invitations à faire taire les pensées, porter sur les choses un œil neuf, prendre conscience du moment, apprendre à remarquer les accords et les présages, bref se distancier du fonctionnement habituel de notre être pour se reconnecter à des facettes occultées, plus sensibles à la magie de la nature et à ces petites extravagances qui font le sel de la vie.

Jusqu’à atteindre, peut-être, des rivages extraordinaires. Car pour qui s’est déjà frotté au voyage chamanique, les écrits de Castaneda ont de quoi résonner. « En le relisant, après mes épisodes amazoniens, j’ai trouvé certains passages tellement justes », témoigne Jan Kounen. Un coyote qui parle, un papillon qui a des choses à nous apprendre ? Pourquoi pas ! Un sorcier qui disparaît et apparaît à volonté, des rencontres d’âme à âme dans l’au-delà ? Ok ! Et s’il s’agissait d’une réalité non matérielle, accessible dans un état modifié de conscience ? En ce sens, « Don Juan peut être un guide de l’autre monde, pas forcément un être en chair et en os, souligne Laurent Huguelit. Tout est possible, tout est réel dans l’expérience chamanique. »




Histoires de pouvoir


Attention toutefois à ne pas y chercher de recette miracle. En Kerouac de l’aventure spirituelle, Castaneda en donne une image spectaculaire et rock’n’roll, à manier avec circonspection. « Ses livres peuvent être durs à décoder, convient Olivier Chambon. Si l’on n’est pas déjà un peu initié, on risque de se perdre, de se laisser entraîner sur de mauvaises voies. »

Jan Kounen confirme : « Ses écrits participent à l’acte nécessaire de déconstruire le réel ; en ce sens, ils sont recommandables. En revanche, je ne conseille pas la mise en pratique en solitaire de son enseignement. Mieux vaut être en relation avec un être dépositaire d’une connaissance – quelle qu’elle soit. Sinon, on peut vite partir en sucette en jouant mentalement avec des concepts sans les intégrer pleinement. »


Sous la plume de Castaneda, Don Juan donne des clés, montre des portes. A chacun, ensuite, de les pousser. Sans les forcer. « Dès le moment où j’ai commencé à pratiquer, je n’ai plus ressenti le besoin de lire ce genre de livres, qui peuvent devenir des parasites mentaux et nous empêcher de trouver notre propre voie », témoigne Laurent Huguelit. Il n’y a pas qu’un chemin pour accéder à la connaissance ; à chacun de trouver celui qui lui convient.

En se méfiant notamment des mirages de la sorcellerie et du pouvoir. « Beaucoup de gens pensent que c’est ça, le chamanisme », commente Laurent Huguelit – alors que dans les cultures traditionnelles, c’est avant tout l’art de guérir par l’entremise des forces spirituelles. « Dans le chamanisme tel que je le pratique, le pouvoir ne fait que nous traverser, nous ne l’accumulons pas ; il ne nous appartient pas ».


Pour autant, Jeremy Narby trouve franche et utile cette exploration du côté sombre. « Les états modifiés de conscience ne mènent pas qu’à la lumière et la bonté, rappelle l’anthropologue. Castaneda parle ainsi beaucoup de datura, une plante dangereuse, dotée d’une part d’ombre considérable. Par ce biais, il apporte une réflexion intéressante sur la dualité du pouvoir. Celui-ci est partout : dans le chamanisme, la politique, le capitalisme… On considère que c’est bien d’en avoir, mais on a vite tendance à en abuser. »

Pourquoi veut-on en acquérir : pour briller aux yeux du monde ou tâcher de le rendre meilleur ? « Nos sociétés ne s’interrogent pas assez à ce sujet. »




Lâcher l’ego


Comment éviter de se fourvoyer ? Par le travail, d’abord. « Ce qui m’a marqué dans Castaneda, c'est le chemin, l'intégrité, le déconditionnement, l'impeccabilité, l’effort de récapitulation », dit Jan Kounen. « Il montre que la découverte de la nature de la réalité demande une grande discipline », confirme Olivier Chambon.

Une « ascèse » qui va de pair avec la dissolution de l’ego : impossible de se prendre pour un cador quand on se rend compte que la route est longue, et qu’on est l’infime maillon d’un infini bien plus puissant. « Aussi longtemps que tu te croiras important, tu ne pourras pas apprécier le monde qui t’entoure, révèle Don Juan à Carlos. Tu seras comme un cheval avec des œillères, tu ne verras que toi séparé du reste », et non la complicité malicieuse qui nous unit à l’univers, et ne peut que nous inciter à ne pas nous prendre trop au sérieux.

« L’humour est une clé importante pour comprendre Castaneda », confirme Jeremy Narby. En fou du roi subversif et facétieux, Don Juan ne cesse ainsi de se jouer de la réalité et d’agiter sous le nez de son élève – et du nôtre – les failles et faux-semblants de notre société.


Est-ce pour cette raison que l’écrivain s’est ingénié à fuir les interviews et brouiller les pistes sur son histoire personnelle ? Avant même d’écrire son premier livre, cet « apôtre de la transgression, destructeur acharné des cadres préétablis » – dixit Christophe Bourseiller – mentait déjà sur son parcours et son identité…

Hélas, ça ne l’a pas empêché, dans les dernières années de sa vie, d’oublier que « le chemin doit avoir du cœur » (selon les mots de Don Juan) et de laisser son ego se dorer au soleil du succès, en devenant le gourou d’un groupe d’adeptes prêts à payer grassement ses séminaires et à accepter qu’ils les malmènent. Un gourou aussi charismatique que cynique, séducteur que tyrannique, désormais « plus proche du Don Juan de Molière que de celui du désert », note Christophe Bourseiller.


Un homme, au fond, à l’image du monde : subjuguant de complexité, avec ses parts d’ombre et de lumière, d’exubérances et de mystères, qui mérite qu’on aille explorer, au-delà des apparences, ce que ses multiples facettes ont à nous enseigner.

« Castaneda était un éveilleur », conclut Christophe Bourseiller. De ceux qui vous secouent « comme un prunier, à l’endroit, à l’envers », au risque de vous faire autant de mal que de bien, selon la manière dont vous les abordez. Vous voilà prévenus. Maintenant, à vous de “voir” !


Carlos Castaneda : La vérité du mensonge, Christophe Bourseiller
Editions du Rocher (Février 2005 ; 264 pages)



L'Herbe du diable et la Petite Fumée, Carlos Castaneda
Christian Bourgois (Novembre 2002 ; 260 pages)



Le Voyage à Ixtlan, Carlos Castaneda
Éditions Gallimard (1988 ; 340 pages)



Histoires de pouvoir, Carlos Castaneda
Éditions Gallimard (Octobre 1993 ; 386 pages)









ARTICLE INREES : Lundi 25 Février 2013 / Par Réjane Ereau